Malgré sa rapidité Katia ne retrouva pas la longue silhouette
de l’homme au chapeau de cuir. Trop de véhicules et de promeneurs
encombraient la place de l’Amiral Courbet. Elle reprit sa voiture
et décida de prendre le soleil sur les bords d’un lac de
la région à une vingtaine de minutes de Villeneuve. Le
lac de Lougratte était un endroit assez tranquille apprécié par
les touristes étrangers. Il était divisé en deux
parties. D’une part une vaste zone pour mobil-homes, caravanes
et tentes et de l’autre la plage aménagée sur un
côté des bords du lac où l’on pouvait aussi
faire du pédalo. Les deux parties étaient séparées
par une petite route intérieure.
Le site avait deux entrées. Une pour la plage et une pour le camping.
Katia qui avait mis un des caissiers dans sa poche se dirigea vers la
barrière donnant accès au camping. Une semaine sur deux
il était de service l’après-midi et la faisait passer
gratuitement. Cela lui permettait également de se garer dans une
zone plus tranquille évitant les désagréments des
coups de portières inconsidérés ou de se faire bloquer
par quelques malotrus. Elle passa devant la barrière donnant accès à la
plage et poursuivit sa route sur une centaine de mètres. Quand
elle arriva devant la caisse elle reconnut derrière le guichet
Pierre, un étudiant embauché pour la saison, qui lui fit
un grand sourire.
— Tu viendras me voir ?
lui lança–t-elle.
— Mon copain est malade, fit-il
désolé en déclenchant l’ouverture de la barrière.
Je n’ai pas de relève. Peut-être demain.
Il était convenu quand cas de présence inopportune elle
ferait semblant de payer. Ce gamin était mignon mais surtout source
de renseignements sur les us et coutumes de la clientèle. Katia
l’avait donc allumé un jour où il était de
repos sur la plage. Régulièrement il venait lui passer
de l’huile sur le corps sans oser aller plus loin. Pour l’instant
elle le laissait se débattre dans son incertitude sur les désirs
féminins mais le moment venu elle se ferait un plaisir de croquer
dans cette chair juvénile. Elle continua sur la petite route intérieure
jusqu’à une vaste plaine herbeuse située en face
d’une bâtisse servant de cafétéria. A droite
de la plaine qui remontait vers l’orée d’une forêt,
des emplacements de caravanes séparés entre eux par de
hautes haies de sapins. Pour l’instant aucun ne semblait occupé et
le secteur était plutôt désert. La haute saison n’était
pas encore commencée. Dans un mois tout serait sûrement
complet avec un fourmillement de peaux bronzées. En principe Katia
se garait en bordure de route prête à repartir mais cette
fois elle se plaça devant la haie du dernier emplacement pour être
sûre d’être tranquille. Elle prit son sac de plage,
changea de chaussures et se dirigea vers la cafétéria.
Tout en marchant elle repensa à David et sa proposition de soirée.
Elle ne savait toujours pas quoi faire. Bien que le détestant
la possibilité de s’introduire dans une réception
de notables commençait à l’exciter.
Sur la plage de sable il y avait une vingtaine de personnes allongées
et une dizaine à s’ébattre dans l’eau. Heureusement,
pas trop d’enfants. Katia avait horreur de tous ces mioches se
croyant obligés de hurler pour se faire entendre. Elle n’avait
jamais eue l’instinct maternel et ne l’aurait jamais. D’un
rapide coup d’œil elle fit l’inventaire des femmes
pouvant lui faire de l’ombre. Aucune n’était à la
hauteur. Quatre jeunettes roucoulaient au pied de la chaise haute du
maître nageur qui faisait semblant de les ignorer royalement. C’était
un abruti, du moins c’est ce que Katia pensait de lui. Imbus de
lui-même elle l’avait rembarré dès la première
journée. Depuis, il la snobait. Tant mieux. David lui suffisait
comme con à supporter. Dans la cafétéria qui consistait
en une pièce ouverte avec quelques tables et un bar servi par
une étudiante assez mignonne il n’y avait qu’un homme
d’une cinquantaine d’années dégustant une énorme
glace assortie. Les cheveux blancs bien coupés, la ride soignée,
il avait la peau laiteuse des nouveaux arrivants. D’un coup d’œil
elle perçut l’aisance, l’argent facile. A étudier.
Elle passa devant le bar, fit un signe amical à Blandine la serveuse,
analysa d’un battement de cils l’effet qu’elle faisait
sur le consommateur puis satisfaite du regard qu’il lui avait jeté installa
sa serviette un peu plus loin. Elle enleva mini jupe et chemisier pour
se retrouver en string de plage sans soutien-gorge. Cela lui donnait
une impression de liberté. La pudeur des autres femmes à dévoiler
leur poitrine l’avait toujours fait rigoler. Katia était
une adepte du naturisme et la nudité était une sorte d’art
de vivre. Pour elle c’était l’habit qui n’était
pas normal. Une sorte de cache misère pour occulter la médiocrité.
Idem pour le sexe. Des millions d’années d’évolutions
pour en arriver à cette absurdité de non-savoir. Attention
terrain miné. Cachez moi ce truc ou j’appelle la police.
Le sexe de l’autre. Horreur de l’horreur. Tout plutôt
que ça. Guerres, sang, violences, assassinats pleines pages dans
les médias du tout formater. Mais pas de sexe. A croire qu’hommes
et femmes n’étaient pas fait pour se pénétrer.
Du coup on en arrivait au viol. Que les bien-pensants s’empressaient
d’oublier.
Devant elle le lac étendait ses eaux calmes dans un rayon d’un
kilomètre avec une forêt sur la droite et le village de
Lougratte limitant l’horizon. Un ponton de bois permettait d’accéder
aux pédalos stationnés à la limite de la baignade
surveillée. Katia sortit son huile de bronzage et commença à s’enduire
la poitrine.
— Bonjour, fit une voix au-dessus
d’elle, je m’appelle Karl Hautman. Vous permettez que je vous tienne
compagnie ?
Katia vit d’abord une main tendue vers elle puis un torse blanc
et enfin le visage de l’homme de la cafétéria.
— Pourquoi pas, fit-elle en
lui serrant la main.
« Rapide le gaillard, pensa-t-elle avec satisfaction. Elle avait
en horreur les tournicotons incapables de la moindre décision.
—....... Je vais chercher ma serviette et je reviens.
L’homme avait parlé avec un léger accent.
« Sûrement allemand, pensa-t-elle en le regardant s’éloigner.
Il portait un boxer-short blanc d’excellente facture et avait une
allure raffinée surmontant son léger embonpoint. Le genre
d’homme à se surveiller. Il revint rapidement avec son sac
de plage et étala sa serviette à côté d’elle.
La jeune femme remarqua que sac et serviette étaient signés
par une très grande marque. L’individu était peut-être
intéressant. Katia se présenta comme une secrétaire
de direction en vacances depuis une semaine et Karl Hautman comme le
patron d’une petite PME d’informatique. officiellement il
n’était pas marié. Elle savait que les hommes étaient
souvent fâchés avec la vérité et qu’il
lui faudrait trier le vrai du faux pour se faire une réelle opinion
de ce nouveau venu dans son champ d’investigation. Plusieurs rencontres
seraient nécessaires pour savoir si l’homme était
vraiment intéressant. C’est pour cette raison qu’elle
l’écoutait attentivement se raconter pour déceler
les éventuelles failles.
Après avoir bien parlé il lui proposa de faire quelques
brasses dans le plan d’eau. Elle le laissa partir en avant et observa
sa façon de nager. Il n’était pas très bon.
Elle décida de faire comme lui. Inutile de le vexer. Ils barbotèrent
donc pendant une dizaine de minutes puis revinrent s’étaler
sur leurs serviettes. Katia s’essuya puis sortit son flacon d’huile.
— Vous permettez ? fit
Karl en saisissant le flacon. J’adore masser.
— Cela tombe bien, s’amusa
Katia, j’aime me faire caresser.
Et c’était vrai. Elle appréciait le toucher des mains
masculines sur sa peau. Elle s’allongea langoureusement et laissa
Karl explorer toutes les parties de son corps. L’homme s’avérait
expert et elle dut le stopper dans ses attouchements devenus sensuels.
Il s’attardait trop sur ses fesses et plongeait ses doigts gourmands
dans le creux de son string. Ils n’étaient pas seuls et
ce n’était pas le moment. En se basculant sur le dos elle
s’aperçut qu’il transpirait abondamment et qu’une
bosse c’était formé sur son boxer. Katia estima que
le poisson était ferré. Inutile d’en faire trop la
première journée. Elle poussa un soupir et se releva.
— Je dois partir, fit-elle
avec un air désolé en pliant sa serviette. Je suis invitée à une
soirée et il faut que je me prépare.
Karl se leva aussitôt. Il semblait désappointé.
— Vous reviendrez demain ?
interrogea-t-il avec déception.
— Demain ou après demain,
s’amusa Katia, cela dépendra de ma soirée. C’est
une réception organisée par le maire, crut-elle bon d’ajouter
pour se mettre en valeur.
— Vous connaissez le maire
de ce bourg ? s’étonna Karl Hautman.
— De Villeneuve, rectifia-t-elle.
Et pas directement. Un ami qui m’invite. A demain, conclut-elle en lui
tendant la main.
Puis elle s’éloigna sans se retourner. Au passage de la
cafétéria Blandine lui envoya une grimace de connivence
pendant qu’un groupe de jeunes, filles et garçons, essayaient
d’obtenir un rabais sur le prix des boissons. Ils plaisantaient
forts essayant de déstabiliser l’étudiante. Katia
passa la route intérieure en cherchant son téléphone
dans son sac. C’était décidé, elle irait à cette
soirée. Peu importe ce qu’elle ressentait pour David. Il
allait peut-être lui donner l’occasion de quitter cette région
dans d’excellentes conditions. Tout en cherchant le numéro
de David sur son portable elle se rendit compte qu’un fourgon était
garé à côté de son véhicule.
— C’est moi, fit-elle
quand l’autre décrocha. D’accord pour ce soir. Comment on
fait ?
« Je passerais te prendre vers vingt heures, fit la voix enjouée
de David.
Ce qui la mit de mauvaise humeur.
« Pauvre con ! pensa-t-elle en raccrochant. Il croit qu’il
a gagné. »
Elle rangea son portable dans son sac d’un geste rageur et s’aperçut
qu’elle était arrivée à sa voiture. Aussitôt
elle se rendit compte qu’elle ne pourrait pas ouvrir sa portière.
Le fourgon était littéralement collé à son
véhicule.
— Mais c’est pas vrai !
explosa-t-elle. Il se croit où ce putain de con !
Enervée elle fit le tour du fourgon et essaya d’ouvrir la
portière du chauffeur. Rien à faire. Une chape de violence
s’abattit sur son cerveau écartant toute logique de prudence.
Elle n’avait plus qu’une idée en tête. Ce connard
de merde l’avait fait exprès. C’est alors qu’elle
entendit des éclats de rires venant de l’autre côté de
la haie faisant face au fourgon. Furieuse Katia posa sèchement
son sac sur le capot de son véhicule et longea le mur végétal
jusqu’à l’allée de séparation des emplacements.
Sûrement les propriétaires du fourgon. Ces abrutis allaient
entendre parler d’elle. A droite de l’allée l’emplacement était
vide mais sur sa gauche il y avait une tente avec quatre gaillards devant
une caisse de bière. Ils avaient un aspect douteux et semblaient
très alcoolisés. Ce qu’elle remarqua en premier ce
fut un molosse en pantalon de treillis camouflé avec une tonsure à l’iroquoise
et des tatouages sur ses épaules dénudées. L’irruption
de Katia les laissa d’abord sans voix puis ils la saluèrent
d’une bordée de propos salaces qui la laissèrent
de marbre. Elle n’était pas femme à se laisser démonter
par ce genre de rognures.
— C’est à vous
le fourgon ? lança-t-elle sèchement.
— Et alors ? fit l’un
des gaillards en se levant lentement. Qu’est-ce que ça peut te
foutre ?
— Viens donc boire une bière,
fit un autre en lui tendant une canette. Après on te laissera nous faire
des gâteries.
Aussitôt ils éclatèrent tous de rire.
— Votre fourgon me gêne,
fit Katia en essayant de garder son sang-froid car ces abrutis commençaient à la
chauffer sérieusement. Je ne peux pas entrer dans ma voiture.
— Mais dis donc petite pute,
fit méchamment le molosse qui semblait dominer le groupe, qu’est-ce
que tu viens nous faire chier avec ta tenue provocante. Casses-toi avant qu’on
te prenne ton p’tit cul !
Il but une gorgée de bière en s’avançant vers
elle.
— Peut-être qu’elle
aime se faire tirer à plusieurs, lança un autre en se levant à son
tour. C’est peut-être une chienne en chaleur !
Soudain Katia perçut que l’atmosphère venait de changer.
Celui qui lui faisait face avait perdu son regard alcoolique. L’œil était
devenu vitreux lui donnant un aspect de possédé. Katia
prit conscience de sa fragilité face à ces jeunes brutes.
Dans sa tête une petite sonnette d’alarme se mit à retentir.
Les deux derniers se levèrent et tanguèrent vers elle.
Elle eut comme l’impression que quelqu’un ou quelque chose était
derrière eux et les poussait à l’irrémédiable.
— On s’la chope, les
mecs ? lança une voix.
Katia n’eut pas le temps de se mettre en garde. Comme un seul homme
les quatre gaillards lui tombèrent dessus et roulèrent
avec elle devant la tente. Un bras lui bloqua la gorge pendant qu’elle
sentait des mains lui arracher son string. Elle voulut crier mais des
doigts épais se plaquèrent sur sa bouche. Elle ne sut pas
combien de temps dura la lutte dans laquelle elle se sentait impuissante.
Bien qu’alcoolisés ces jeunes avaient une force incroyable.
Soudain une détonation déchira l’atmosphère.
Un éclair de feu toucha la haie qui s’ouvrit en deux tétanisant
les protagonistes. Presque immédiatement une pluie violente frappa
les corps enchevêtrés. Katia arracha le bras de son agresseur
qui s’était relâché et se releva en reprenant
son souffle. La pluie lui frappait le visage avec furie occultant partiellement
sa vision. Ses quatre agresseurs ne bougeaient plus. Gisant dans une
mare d’eau qui s’élargissait rapidement ils semblaient
sans connaissance. Elle eut l’impression que quelque chose sortait
de leur corps et partait en courant sous les trombes d’eau. Un
instant elle en oublia de s’enfuir. Et puis elle détala
brusquement sans demander son reste. Elle se retrouva sur l’allée
centrale, dépassa les haies de séparation et fonça
sur la plaine. Tout en courant sur l’herbe humide elle se rendit
compte que la pluie venait de s’arrêter. Quand elle arriva à sa
voiture son sac de plage était tombé sur le sol dans une
mare d’eau. Sur la plage les estivants commençaient à plier
leur serviette sous un ciel devenu chaotique. Elle fouilla dans son sac
pour saisir son trousseau de clef et ouvrit la portière passager
avant de se glisser avec difficulté devant le volant. Elle démarra
nerveusement et recula de plusieurs mètres pour faire face à la
route. Là, elle s’arrêta pour reprendre son sang-froid
et décider de la marche à suivre. Que faire avec cette
agression ? Elle savait qu’elle n’avait aucun intérêt à alerter
les pouvoirs publics. En parler à Pierre ne servirait strictement à rien.
En cas de nouvelle rencontre avec ces quatre connards elle improviserait
une tactique adéquate. Ca, elle savait faire. Elle jeta un coup
d’œil dans le rétroviseur et eut un choc.
Le cow-boy urbain était au milieu de la plaine et regardait dans
sa direction. Elle eut même l’impression qu’il lui
souriait. Katia sortit de la voiture comme une furie et s’élança
vers l’endroit où elle avait vu l’homme.
Mais il n’y avait personne.