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Chapitre 3


 

Malgré sa rapidité Katia ne retrouva pas la longue silhouette de l’homme au chapeau de cuir. Trop de véhicules et de promeneurs encombraient la place de l’Amiral Courbet. Elle reprit sa voiture et décida de prendre le soleil sur les bords d’un lac de la région à une vingtaine de minutes de Villeneuve. Le lac de Lougratte était un endroit assez tranquille apprécié par les touristes étrangers. Il était divisé en deux parties. D’une part une vaste zone pour mobil-homes, caravanes et tentes et de l’autre la plage aménagée sur un côté des bords du lac où l’on pouvait aussi faire du pédalo. Les deux parties étaient séparées par une petite route intérieure.
Le site avait deux entrées. Une pour la plage et une pour le camping. Katia qui avait mis un des caissiers dans sa poche se dirigea vers la barrière donnant accès au camping. Une semaine sur deux il était de service l’après-midi et la faisait passer gratuitement. Cela lui permettait également de se garer dans une zone plus tranquille évitant les désagréments des coups de portières inconsidérés ou de se faire bloquer par quelques malotrus. Elle passa devant la barrière donnant accès à la plage et poursuivit sa route sur une centaine de mètres. Quand elle arriva devant la caisse elle reconnut derrière le guichet Pierre, un étudiant embauché pour la saison, qui lui fit un grand sourire.
—        Tu viendras me voir ? lui lança–t-elle.
—        Mon copain est malade, fit-il désolé en déclenchant l’ouverture de la barrière. Je n’ai pas de relève. Peut-être demain.
Il était convenu quand cas de présence inopportune elle ferait semblant de payer. Ce gamin était mignon mais surtout source de renseignements sur les us et coutumes de la clientèle. Katia l’avait donc allumé un jour où il était de repos sur la plage. Régulièrement il venait lui passer de l’huile sur le corps sans oser aller plus loin. Pour l’instant elle le laissait se débattre dans son incertitude sur les désirs féminins mais le moment venu elle se ferait un plaisir de croquer dans cette chair juvénile. Elle continua sur la petite route intérieure jusqu’à une vaste plaine herbeuse située en face d’une bâtisse servant de cafétéria. A droite de la plaine qui remontait vers l’orée d’une forêt, des emplacements de caravanes séparés entre eux par de hautes haies de sapins. Pour l’instant aucun ne semblait occupé et le secteur était plutôt désert. La haute saison n’était pas encore commencée. Dans un mois tout serait sûrement complet avec un fourmillement de peaux bronzées. En principe Katia se garait en bordure de route prête à repartir mais cette fois elle se plaça devant la haie du dernier emplacement pour être sûre d’être tranquille. Elle prit son sac de plage, changea de chaussures et se dirigea vers la cafétéria. Tout en marchant elle repensa à David et sa proposition de soirée. Elle ne savait toujours pas quoi faire. Bien que le détestant la possibilité de s’introduire dans une réception de notables commençait à l’exciter.
Sur la plage de sable il y avait une vingtaine de personnes allongées et une dizaine à s’ébattre dans l’eau. Heureusement, pas trop d’enfants. Katia avait horreur de tous ces mioches se croyant obligés de hurler pour se faire entendre. Elle n’avait jamais eue l’instinct maternel et ne l’aurait jamais. D’un rapide coup d’œil elle fit l’inventaire des femmes pouvant lui faire de l’ombre. Aucune n’était à la hauteur. Quatre jeunettes roucoulaient au pied de la chaise haute du maître nageur qui faisait semblant de les ignorer royalement. C’était un abruti, du moins c’est ce que Katia pensait de lui. Imbus de lui-même elle l’avait rembarré dès la première journée. Depuis, il la snobait. Tant mieux. David lui suffisait comme con à supporter. Dans la cafétéria qui consistait en une pièce ouverte avec quelques tables et un bar servi par une étudiante assez mignonne il n’y avait qu’un homme d’une cinquantaine d’années dégustant une énorme glace assortie. Les cheveux blancs bien coupés, la ride soignée, il avait la peau laiteuse des nouveaux arrivants. D’un coup d’œil elle perçut l’aisance, l’argent facile. A étudier.
Elle passa devant le bar, fit un signe amical à Blandine la serveuse, analysa d’un battement de cils l’effet qu’elle faisait sur le consommateur puis satisfaite du regard qu’il lui avait jeté installa sa serviette un peu plus loin. Elle enleva mini jupe et chemisier pour se retrouver en string de plage sans soutien-gorge. Cela lui donnait une impression de liberté. La pudeur des autres femmes à dévoiler leur poitrine l’avait toujours fait rigoler. Katia était une adepte du naturisme et la nudité était une sorte d’art de vivre. Pour elle c’était l’habit qui n’était pas normal. Une sorte de cache misère pour occulter la médiocrité. Idem pour le sexe. Des millions d’années d’évolutions pour en arriver à cette absurdité de non-savoir. Attention terrain miné. Cachez moi ce truc ou j’appelle la police. Le sexe de l’autre. Horreur de l’horreur. Tout plutôt que ça. Guerres, sang, violences, assassinats pleines pages dans les médias du tout formater. Mais pas de sexe. A croire qu’hommes et femmes n’étaient pas fait pour se pénétrer. Du coup on en arrivait au viol. Que les bien-pensants s’empressaient d’oublier.
Devant elle le lac étendait ses eaux calmes dans un rayon d’un kilomètre avec une forêt sur la droite et le village de Lougratte limitant l’horizon. Un ponton de bois permettait d’accéder aux pédalos stationnés à la limite de la baignade surveillée. Katia sortit son huile de bronzage et commença à s’enduire la poitrine.
—        Bonjour, fit une voix au-dessus d’elle, je m’appelle Karl Hautman. Vous permettez que je vous tienne compagnie ?
Katia vit d’abord une main tendue vers elle puis un torse blanc et enfin le visage de l’homme de la cafétéria.
—        Pourquoi pas, fit-elle en lui serrant la main.
« Rapide le gaillard, pensa-t-elle avec satisfaction. Elle avait en horreur les tournicotons incapables de la moindre décision.
—....... Je vais chercher ma serviette et je reviens.
L’homme avait parlé avec un léger accent.
« Sûrement allemand, pensa-t-elle en le regardant s’éloigner.
Il portait un boxer-short blanc d’excellente facture et avait une allure raffinée surmontant son léger embonpoint. Le genre d’homme à se surveiller. Il revint rapidement avec son sac de plage et étala sa serviette à côté d’elle. La jeune femme remarqua que sac et serviette étaient signés par une très grande marque. L’individu était peut-être intéressant. Katia se présenta comme une secrétaire de direction en vacances depuis une semaine et Karl Hautman comme le patron d’une petite PME d’informatique. officiellement il n’était pas marié. Elle savait que les hommes étaient souvent fâchés avec la vérité et qu’il lui faudrait trier le vrai du faux pour se faire une réelle opinion de ce nouveau venu dans son champ d’investigation. Plusieurs rencontres seraient nécessaires pour savoir si l’homme était vraiment intéressant. C’est pour cette raison qu’elle l’écoutait attentivement se raconter pour déceler les éventuelles failles.
Après avoir bien parlé il lui proposa de faire quelques brasses dans le plan d’eau. Elle le laissa partir en avant et observa sa façon de nager. Il n’était pas très bon. Elle décida de faire comme lui. Inutile de le vexer. Ils barbotèrent donc pendant une dizaine de minutes puis revinrent s’étaler sur leurs serviettes. Katia s’essuya puis sortit son flacon d’huile.
—        Vous permettez ? fit Karl en saisissant le flacon. J’adore masser.
—        Cela tombe bien, s’amusa Katia, j’aime me faire caresser.
Et c’était vrai. Elle appréciait le toucher des mains masculines sur sa peau. Elle s’allongea langoureusement et laissa Karl explorer toutes les parties de son corps. L’homme s’avérait expert et elle dut le stopper dans ses attouchements devenus sensuels. Il s’attardait trop sur ses fesses et plongeait ses doigts gourmands dans le creux de son string. Ils n’étaient pas seuls et ce n’était pas le moment. En se basculant sur le dos elle s’aperçut qu’il transpirait abondamment et qu’une bosse c’était formé sur son boxer. Katia estima que le poisson était ferré. Inutile d’en faire trop la première journée. Elle poussa un soupir et se releva.
—        Je dois partir, fit-elle avec un air désolé en pliant sa serviette. Je suis invitée à une soirée et il faut que je me prépare.
Karl se leva aussitôt. Il semblait désappointé.
—        Vous reviendrez demain ? interrogea-t-il avec déception.
—        Demain ou après demain, s’amusa Katia, cela dépendra de ma soirée. C’est une réception organisée par le maire, crut-elle bon d’ajouter pour se mettre en valeur.
—        Vous connaissez le maire de ce bourg ? s’étonna Karl Hautman.
—        De Villeneuve, rectifia-t-elle. Et pas directement. Un ami qui m’invite. A demain, conclut-elle en lui tendant la main.
Puis elle s’éloigna sans se retourner. Au passage de la cafétéria Blandine lui envoya une grimace de connivence pendant qu’un groupe de jeunes, filles et garçons, essayaient d’obtenir un rabais sur le prix des boissons. Ils plaisantaient forts essayant de déstabiliser l’étudiante. Katia passa la route intérieure en cherchant son téléphone dans son sac. C’était décidé, elle irait à cette soirée. Peu importe ce qu’elle ressentait pour David. Il allait peut-être lui donner l’occasion de quitter cette région dans d’excellentes conditions. Tout en cherchant le numéro de David sur son portable elle se rendit compte qu’un fourgon était garé à côté de son véhicule.
—        C’est moi, fit-elle quand l’autre décrocha. D’accord pour ce soir. Comment on fait ?
« Je passerais te prendre vers vingt heures, fit la voix enjouée de David.
Ce qui la mit de mauvaise humeur.
« Pauvre con ! pensa-t-elle en raccrochant. Il croit qu’il a gagné. »
Elle rangea son portable dans son sac d’un geste rageur et s’aperçut qu’elle était arrivée à sa voiture. Aussitôt elle se rendit compte qu’elle ne pourrait pas ouvrir sa portière. Le fourgon était littéralement collé à son véhicule.
—        Mais c’est pas vrai ! explosa-t-elle. Il se croit où ce putain de con !
Enervée elle fit le tour du fourgon et essaya d’ouvrir la portière du chauffeur. Rien à faire. Une chape de violence s’abattit sur son cerveau écartant toute logique de prudence. Elle n’avait plus qu’une idée en tête. Ce connard de merde l’avait fait exprès. C’est alors qu’elle entendit des éclats de rires venant de l’autre côté de la haie faisant face au fourgon. Furieuse Katia posa sèchement son sac sur le capot de son véhicule et longea le mur végétal jusqu’à l’allée de séparation des emplacements. Sûrement les propriétaires du fourgon. Ces abrutis allaient entendre parler d’elle. A droite de l’allée l’emplacement était vide mais sur sa gauche il y avait une tente avec quatre gaillards devant une caisse de bière. Ils avaient un aspect douteux et semblaient très alcoolisés. Ce qu’elle remarqua en premier ce fut un molosse en pantalon de treillis camouflé avec une tonsure à l’iroquoise et des tatouages sur ses épaules dénudées. L’irruption de Katia les laissa d’abord sans voix puis ils la saluèrent d’une bordée de propos salaces qui la laissèrent de marbre. Elle n’était pas femme à se laisser démonter par ce genre de rognures.
—        C’est à vous le fourgon ? lança-t-elle sèchement.
—        Et alors ? fit l’un des gaillards en se levant lentement. Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
—        Viens donc boire une bière, fit un autre en lui tendant une canette. Après on te laissera nous faire des gâteries.
Aussitôt ils éclatèrent tous de rire.
—        Votre fourgon me gêne, fit Katia en essayant de garder son sang-froid car ces abrutis commençaient à la chauffer sérieusement. Je ne peux pas entrer dans ma voiture.
—        Mais dis donc petite pute, fit méchamment le molosse qui semblait dominer le groupe, qu’est-ce que tu viens nous faire chier avec ta tenue provocante. Casses-toi avant qu’on te prenne ton p’tit cul !
Il but une gorgée de bière en s’avançant vers elle.
—        Peut-être qu’elle aime se faire tirer à plusieurs, lança un autre en se levant à son tour. C’est peut-être une chienne en chaleur !
Soudain Katia perçut que l’atmosphère venait de changer. Celui qui lui faisait face avait perdu son regard alcoolique. L’œil était devenu vitreux lui donnant un aspect de possédé. Katia prit conscience de sa fragilité face à ces jeunes brutes. Dans sa tête une petite sonnette d’alarme se mit à retentir. Les deux derniers se levèrent et tanguèrent vers elle. Elle eut comme l’impression que quelqu’un ou quelque chose était derrière eux et les poussait à l’irrémédiable.
—        On s’la chope, les mecs ? lança une voix.
Katia n’eut pas le temps de se mettre en garde. Comme un seul homme les quatre gaillards lui tombèrent dessus et roulèrent avec elle devant la tente. Un bras lui bloqua la gorge pendant qu’elle sentait des mains lui arracher son string. Elle voulut crier mais des doigts épais se plaquèrent sur sa bouche. Elle ne sut pas combien de temps dura la lutte dans laquelle elle se sentait impuissante. Bien qu’alcoolisés ces jeunes avaient une force incroyable. Soudain une détonation déchira l’atmosphère. Un éclair de feu toucha la haie qui s’ouvrit en deux tétanisant les protagonistes. Presque immédiatement une pluie violente frappa les corps enchevêtrés. Katia arracha le bras de son agresseur qui s’était relâché et se releva en reprenant son souffle. La pluie lui frappait le visage avec furie occultant partiellement sa vision. Ses quatre agresseurs ne bougeaient plus. Gisant dans une mare d’eau qui s’élargissait rapidement ils semblaient sans connaissance. Elle eut l’impression que quelque chose sortait de leur corps et partait en courant sous les trombes d’eau. Un instant elle en oublia de s’enfuir. Et puis elle détala brusquement sans demander son reste. Elle se retrouva sur l’allée centrale, dépassa les haies de séparation et fonça sur la plaine. Tout en courant sur l’herbe humide elle se rendit compte que la pluie venait de s’arrêter. Quand elle arriva à sa voiture son sac de plage était tombé sur le sol dans une mare d’eau. Sur la plage les estivants commençaient à plier leur serviette sous un ciel devenu chaotique. Elle fouilla dans son sac pour saisir son trousseau de clef et ouvrit la portière passager avant de se glisser avec difficulté devant le volant. Elle démarra nerveusement et recula de plusieurs mètres pour faire face à la route. Là, elle s’arrêta pour reprendre son sang-froid et décider de la marche à suivre. Que faire avec cette agression ? Elle savait qu’elle n’avait aucun intérêt à alerter les pouvoirs publics. En parler à Pierre ne servirait strictement à rien. En cas de nouvelle rencontre avec ces quatre connards elle improviserait une tactique adéquate. Ca, elle savait faire. Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur et eut un choc.
Le cow-boy urbain était au milieu de la plaine et regardait dans sa direction. Elle eut même l’impression qu’il lui souriait. Katia sortit de la voiture comme une furie et s’élança vers l’endroit où elle avait vu l’homme.
Mais il n’y avait personne.