Finalement Katia n’avait pas remis les billets dans la caisse.
Elle aimait le danger. Flic ou détective elle improviserait au
dernier moment pour expliquer son geste. Dés l’arrivée
de Norbert elle avait joué la serveuse agacée par le comportement
cavalier de l’homme en costume noir. Son patron avait haussé les épaules.
Des histoires de clients bizarres il en avait à revendre. Apparemment
il n’était au courant de rien. Katia en déduisit
que le coup venait sûrement de sa femme. Dans la foulée
elle en profita pour chauffer Norbert par deux ou trois contacts qu’elle
provoqua dans la réserve. Une fois en montant sur un escabeau
en sa présence, une autre en passant en même temps que lui
entre deux étagères serrées. Elle sut se dégager
rapidement avant qu’il ne perde son sang-froid. Elle quitta son
service en laissant derrière elle un Norbert Anton cramoisi et
incapable de lui souffler le moindre au-revoir. C’était
bon pour la suite.
Finalement satisfaite de sa matinée elle oublia l’homme
en noir et décida d’aller se détendre sur un endroit
qu’on appelait la Cale. C’était une construction
en béton faite de gradins et de commerces descendant vers les
berges du Lot qui traversait la ville. Les gradins donnaient sur une
plate-forme flottante utilisée pour certains événements
estivaux. Quant aux commerces insérés dans ces gradins
ils étaient la plupart du temps fermés. Tant d’argent
pour si peu de service, à coups sûr, la politique était
passée par là. Avec l’argent du concitoyen toutes
les conneries étaient envisageables. Katia se demandait s’ils
auraient fait la même chose avec leurs propres deniers.
Depuis son arrivée elle n’avait lié aucune relation.
Etrangement elle se sentait libre et n’avait besoin d’aucune
présence à ses côtés. Pourquoi faire ?
Elle assumait parfaitement son train de vie et pour la sexualité elle
savait aussi se passer de partenaire. De toute façon la plupart
du temps elle prenait plus de plaisir avec elle-même. Très
peu d’hommes avaient été capable de la faire vibrer
et ceux qui avaient réussi étaient d’une connerie
mortel entre deux ébats.
« Vive la liberté, pensa-t-elle pendant que deux jeunes godelureaux
s’évertuaient à se faire remarquer en jouant des biceps
sur un carré d’herbes jaunies. Ils étaient torse nu et
s’essayaient à quelques prises rudimentaires de karaté.
Katia qui excellait dans cet art se retint d’aller leur donner des conseils.
Ils l’auraient sûrement mal pris et de toutes façons ils
ne l’intéressaient pas. Elle continua à marcher le long
du fleuve tout en observant le mouvement de quelques bateaux de plaisance.
De l’autre côté de l’eau les façades de maisons
anciennes se dressaient pour barrées l’horizon. Il faisait chaud.
Katia repensa à sa situation. Pourquoi était-elle aussi indépendante ?
Qu’est-ce qui la différenciait de ses congénères ?
Elle ne se reconnaissait dans aucun standard féminin. Un mari, un foyer,
des enfants. Tous ces mots lui donnaient la nausée. Elle voulait être
libre, goûter l’instant présent, être surprise en
permanence, ne pas sombrer dans l’habitude. C’est pour cette raison
qu’elle ne restait jamais plus de deux ans dans la même ville.
Avec elle le renouveau devait être permanent. Quelquefois le futur essayait
de s’inviter dans ses pensées. Que ferait-elle plus tard quand
elle serait vieille ? Katia bloquait aussitôt son émotionnel
et rejetait cette idée de futur. Seul l’instant présent
l’intéressait. Vieillir n’était pas son problème.
Elle en était là de ses pensées quand elle aperçut
David qui descendait les escaliers. Lui aussi était du matin et
avait fini son service. Un sentiment de contrariété s’empara
de la jeune femme. Elle s’arrêta, regarda longuement l’écoulement
du fleuve et essaya de se calmer. Pourquoi détestait-elle à ce
point cet abruti ? Quelquefois elle s’en voulait de le rembarrer
aussi sèchement sans raison apparente. Car ce qui était
exact c’est qu’il n’y avait jamais d’agressivité de
la part de David. Il était lourd comme la plupart des hommes mais
sans plus. De plus c’était quand même un beau garçon,
plutôt prévenant pour les femmes et toujours de bonne humeur.
D’ailleurs, l’ayant aperçu il arriva vers elle tout
sourire.
« Mais qu’est-ce qu’il peut me faire chier avec son
sourire, pensa-t-elle avant de lui lancer :
— Tiens, tu es là toi
aussi. Décidément il est impossible d’être tranquille
dans cette ville !
Ce qui amusa David qui prit ça pour de l’humour. Ou alors
il comprenait parfaitement et attendait patiemment que sa proie baisse
sa garde. Car David était très attiré par Katia.
Dès leur première rencontre il avait eu une impression
de déjà vu.
— Je cherche une cavalière,
cela t’intéresse une soirée dans le gratin de la ville ?
« Ben voyons, pensa-t-elle agacée. Il me prend vraiment pour
une conne.
— Cherche toi quelqu’un
d’autre, répliqua-t-elle sèchement, je me lève tôt
le matin.
— Tu as tort, je suis invité par
le maire en personne. Il était sur le bassin ce matin. C’est un
type sympa que je conseille régulièrement. Et puis… Il
y aura du beau linge. Tu aurais peut-être l’occasion d’élargir
ton champ de chasse.
— Qu’est-ce que tu veux
dire ? sursauta Katia en palissant.
David hésita un instant. Le sursaut de Katia ne lui avait pas échappé.
Il regarda vers le fleuve comme soudainement captivé par le passage
d’un bateau de plaisance puis poursuivit en changeant de sujet :
— Parfois j’aimerais
passer mes vacances sur ce genre de yacht. Aller de ville en ville en suivant
le cours de l’eau. Ca doit être très agréable.
— Sûrement, maugréa
Katia qui s’était ressaisie.
La jeune femme réfléchissait à pleine allure. Quel était
le sous-entendu de David ? En savait-il plus sur elle qu’elle
ne le supposait ? L’avait-il croisé dans une autre
ville sans qu’elle s’en aperçoive ? Un mal être
s’empara d’elle. Il fallait qu’elle se retrouve seule,
pour réfléchir, faire le point. C’est alors qu’un
homme attira son attention. Il était grand, au moins un mètre
quatre vingt dix. Il portait un jeans et un gilet assorti sur une chemise
bleue nuit ainsi qu’un chapeau de cuir marron aux bords plats.
David avait vu lui aussi l’individu et semblait intrigué.
La silhouette qui se dirigeait vers eux n’était pas banale.
De loin on avait l’impression d’un cow-boy égaré.
Tout en se rapprochant du couple l’homme jetait par intermittence
des coups d’œils vers le fleuve. Quand il ne fut plus qu’à quelques
pas il s’arrêta et releva d’un coup de pouce le bord
de son chapeau.
— Ah, vous vous êtes
retrouvés, lança-t-il amusé. Bien, bien. Faites attention
maintenant.
Ses yeux rieurs analysèrent sereinement le couple. Difficile de
lui donner un âge, peut-être la quarantaine, peut-être
plus. Il fit un petit geste amical de la main, rabaissa le bord de son
chapeau puis obliqua vers les gradins et se mit à monter les marches.
David et Katia le regardèrent disparaître tout en haut sans
la moindre réaction.
— Tu connais ce type ?
interrogea David intrigué.
— Jamais vu de ma vie.
— Qu’est-ce qu’il
a voulu dire par…
David ne termina pas sa phrase. Le « vous vous êtes
retrouvés » l’inquiétait. Retrouvés
de où ? Il préféra passer à autre chose.
— Que décides-tu pour
ce soir ?
Katia ne répondit pas tout de suite. Elle avait encore en tête
la longue silhouette de ce cow-boy urbain. Qui était-il et d’où sortait-il ?
Un artiste ? N’importe qui ne pouvait assumer un pareil accoutrement.
Surtout dans une petite ville. Un touriste ? Et puis le « vous
vous êtes retrouvés » tournait en rond dans ses
pensées.
— Il faut que je réfléchisse.
Je te rappelle dans une heure.
Et elle s’élança sur les pas de l’homme au
chapeau de cuir à bords plats.