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Katia gara son véhicule pratiquement
en face de la brasserie. Elle claqua la portière et regarda longuement
la contre allée
de l’artère principale bordée par une haie de leylandiis.
Malgré l’heure matinale il faisait déjà chaud
sur Villeneuve-sur-lot et quelques badauds se pressaient rapidement vers
la boulangerie ou le point presse sous un ciel sans nuage. A part ces
deux commerces tout le reste était encore fermé. Katia
soupira. Combien de temps resterait-elle ici ? Elle savait par expérience
qu’il ne fallait pas traîner dans les petites villes. Elle
traversa la chaussée et se retrouva devant la brasserie. Une grande
porte vitrée entourant deux grandes baies descendant jusqu’au
sol contrastait avec les boutiques d’aspect vieillottes qui l’entouraient.
D’un côté il y avait une agence immobilière,
de l’autre une pizzeria. Un peu plus loin le point presse d’où s’écoulait
le caquètement généreux d’un speaker d’une
radio locale. Katia s’arrêta devant la porte vitrée
et analysa sa longue silhouette de trentenaire. Pour cette journée
elle avait revêtu un chemisier jaune sur une mini jupe assortie
qui mettait ses jambes en valeur. Elle ébouriffa sa chevelure
blonde qui lui effleurait les épaules, se fit un sourire puis
tranquillisée sur son sex-appeal sortit un trousseau de clefs
de son sac à main et ouvrit la porte en grand. Une odeur repoussante
de tabac froid la fit grimacer. Elle se dirigea vers le bar, alluma les
néons du fond de la salle, brancha la machine à café puis
déposa son sac dans un tiroir sous la caisse.
Cela faisait déjà deux mois qu’elle travaillait pour
Norbert Anton. Elle avait répondu à une annonce locale et
son embauche avait été immédiate. Dès la première
entrevue Norbert avait été subjugué par la nouvelle
venue et avait survolé les attestations que la belle lui avait présentées.
Très vite ils avaient sympathisé et Katia s’était
vue confier les clefs de l’établissement. Elle faisait l’ouverture
jusque quatorze heures et lui, prenait la relève. Norbert Anton
avait la cinquantaine, un embonpoint avancé et une calvitie en phase
terminale. L’homme était sympathique, marié et coincé.
Très coincé. Katia aimait ce genre de situation. Le moment
venu elle se ferait fort de décoincer l’animal. Juste avant
de …
Elle ouvrit la caisse et regarda le fond de réserve. Elle préleva
trois billets de vingt euro qu’elle glissa dans son sac placé dans
le tiroir du dessous.
— Je peux avoir un café ?
interrogea une voix dans sa tête.
Katia sursauta en repoussant violemment le tiroir caisse. Installé à une
table dans une partie surélevée au fond de la salle un homme
d’un âge indéfinissable l’observait avec amusement.
Il était exactement en face de la caisse. Le cheveu brun légèrement
bouclé il était habillé d’un costume noir d’excellente
facture sur une chemise blanche. La veste ouverte révélait
une doublure rouge sang. Katia remarqua sa peau très blanche, son
regard noir incisif et ses longues mains croisées sous son menton.
— Je …Je vous fais ça,
balbutia la jeune femme prise de court en se dirigeant vers la machine à café.
Elle se demandait comment l’individu avait fait pour atteindre cette
table sans qu’elle ne le remarque. Tout en faisant couler le liquide
noir odorant Katia s’interrogeait sur l’homme. L’avait-il
vu soustraire les billets de la caisse ? Si oui il lui fallait construire
un scénario crédible pour expliquer son geste. Par exemple
un défaut de la billetterie ayant refusée sa carte bleue.
Voilà, c’était tout simple. Elle remettrait les billets
dans la caisse dés qu’elle aurait résolu son problème
de carte bleue. L’homme était peut-être envoyé par
Norbert pour la surveiller. Peut-être que son patron s’était
aperçu de quelque chose. Ce qui paraissait improbable. Comment aurait-il
pu comptabiliser la recette de la matinée. Ou alors c’était
sa femme. Elle était venue une fois dans la brasserie. Une maigrichonne
pincée avec des bracelets aux poignets et des bagues à tous
les doigts. Les deux femmes n’avaient pas sympathisé. Katia
mit la tasse sur la soucoupe, un sachet de sucre et un chocolat puis se
dirigea vers la table. Comme il n’y avait personne elle crut qu’elle
s’était trompée et chercha des yeux la présence
de l’homme. La salle était vide. Elle posa le café sur
la table, respira un bon coup et regarda de nouveau autour d’elle
puis vers l’extérieur. Il n’y avait personne.
« Il est peut-être aux toilettes, pensa-t-elle en retournant
vers le bar.
Devant la caisse elle hésita. Fallait-il remettre les billets ?
Elle n’eut pas le temps de se décider. Par la baie vitrée
elle vit un véhicule se garer à côté du sien
et un homme jeune en sortir. Katia eut une moue de mécontentement.
Elle n’appréciait pas du tout cet habitué du petit
matin. Et pourtant David Oselte avait un physique avenant. Grand, blond, éternellement
souriant, le jeune homme était maître nageur à la
piscine municipale et en principe plaisait à la plupart des femmes
qu’ils côtoyait. Mais pas à Katia. Sans comprendre pourquoi
elle avait une sorte de colère sourde à son encontre. Tout
sourire David pénétra dans l’établissement
en lançant comme d’habitude :
— Salut la plus belle !
Ta nuit a été bonne ?
« Qu’est-ce que ça peut te foutre pauvre con, avait-elle
toujours envie de lui balancer. Mais elle se contentait d’un :
— Tant que je ne suis pas dans
ton lit, tout va bien. Un café crème, je suppose ?
Et pendant qu’elle s’affairait sur la machine à expresso
chacun y allait de sa réflexion plus ou moins mordante sur les défauts
de l’autre sexe. Le tout s’achevant régulièrement
avec l’arrivée d’un nouveau client qui évitait à Katia
de se mettre en colère. David finissait son crème puis s’en
allait toujours de bonne humeur. Lui ne semblait pas percevoir le mécontentement
de ce qu’il appelait, sa copine. Dés la première rencontre
avec la belle il avait voulu sympathiser et même d’entrée
aller plus loin car David était plutôt rapide dans ce domaine.
Le maître nageur, célibataire de son état, connaissait
très peu d’échec pour ne pas dire aucun. Le refus de
Katia n’avait fait qu’attiser son envie de la mettre dans son
lit. Mais cette fois les choses ne se passèrent pas de la même
façon. David déposa un billet de vingt euro sur le bar. Tout
en saisissant la coupure elle se rappela de l’homme en costume noir.
Sur sa table le café n’avait pas bougé.
— Mais qu’est-ce qu’il
fout ? murmura-t-elle.
— Qui ça ? interrogea
David.
Katia allait lui demander vertement de s’occuper de ses fesses quand
soudain elle changea d’avis et décida de l’utiliser.
— J’ai servi un café à un
type qui est parti aux toilettes depuis une bonne dizaine de minutes.
— Tu veux que j’aille
jeter un œil ?
— Pourquoi pas. Il a peut-être
eu un malaise.
David lui jeta un clin d’œil complice qui l’agaça
puis se dirigea vers le fond de la salle. Il ne se passa pas plus de deux
minutes avant qu’il ne réapparaisse goguenard.
— A part quelques cafards il
n’y a personne dans les toilettes. Ni chez les hommes, ni chez les femmes.
A mon avis tu as trop tardé à lui servir son café. Un
mec de la ville peut-être. Ils sont toujours à courir après
le temps qu’ils n’ont pas encore perdu. De toute façon,
rigola-t-il, comme on dit chez nous, un café de perdu, dix de retrouvés !
« Va te faire foutre, pensa Katia sans le regarder.
Elle se dirigea vers la table et prit la tasse. Cela ne lui plaisait pas.
Cet homme n’avait aucune raison de partir avant d’être
servi. Elle revit son regard perçant, sa mimique amusée.
Amusée ou méprisante ? Etait-ce un flic, un détective
privé ?
— Je passerais vers midi !
lança David en sortant de l’établissement.
— C’est ça, maugréa
Katia en jetant le liquide noir dans le bac des eaux usées.
Ce mec commençait à lui courir sur l’estomac. Elle
ne comprenait pas cette aversion qui commençait à la ronger
insidieusement. Et pourtant elle ne pouvait pas partir maintenant. Ce serait
idiot. Il lui fallait tenir encore quelques mois, faire le tour de toutes
les possibilités de cette petite ville. Après …
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