Méandres
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Chapitre 2


 


Le blodeur venait de survoler la barrière magnétique du territoire d’Atlantis. En dessous de lui un paysage de terre ocre parsemé d’arbustes rabougris. L’engin, ressemblant à un bol retourné d’une trentaine de mètres de diamètre sans ouvertures apparentes, évoluait rapidement à une altitude de cinq cent mètres laissant derrière lui le paysage verdoyant d’Atlantis pour un désert aride, passé ce mur d’invisibilité magnétique. Ce prodige était dû à la technique Atlantéenne dont les pyramides canalisaient l’énergie électromagnétique de la planète pour faire fonctionner les barrières anti-intrusion. Mais les pyramides ne servaient pas qu’à cela, elles captaient également l’humidité atmosphérique pour l’envoyer dans des canaux d’irrigations.
Tel un oiseau blanc le blodeur glissait dans le bleu azur de cette après-midi d’été dans un silence total grâce à son système anti-gravité. Dans le poste de pilotage une dizaine de femmes habillées de mini-jupe, débardeur et bottes de cuir rouge observaient, assises dans de vastes fauteuils, un écran de trois mètres divisé en deux parties ; une moitié montrant le dessous de l’appareil, une autre ce qui se passait devant. Toutes avaient les cheveux teints en rouge retenus par une queue de cheval tressée. Au centre du poste de pilotage, une femme au regard sombre, un peu plus âgée que les autres, semblait perdue dans ses pensées. Son visage agréable dégageait une forte détermination.
Assise à ses côtés, Katina sa secondress, se pencha vers elle en murmurant.


— Vima me semble bien longue.

Puis elle se replongea dans l’étude du paysage qui défilait.

— Et alors ? s’étonna Armella.
— Cela fait plus d’un quart d’heure qu’elle nous a quittées, fit Katina après quelques secondes d’hésitations.

Elle semblait envoûtée par l’écran.

— Qu’est-ce que tu veux me dire ? souffla Armella en regardant de biais les autres femmes.
Toutes épiaient le paysage en quête du moindre mou­vement ne prêtant aucune attention aux deux officiérines.
— Je n’en sais rien, fit Katina. Une drôle d’impression. Je l’ai surprise avec Amos dans les vestiaires de notre salle d’entraînement. Ils m’ont donné l’impression d’être...


Elle n’acheva pas à dessein. Katina détestait Vima ; et encore plus Amos dont la présence était imposée depuis quelque temps par Armella. Pour elle, comme pour la plupart des autres, un homme parmi les guerrières étaient presque une insulte. Mais personne n’osait contester la comandress. Et puis Amos au poste de pilotage permettait à toutes les femmes de participer à la chasse.

— Qu’est-ce que tu insinues ? sursauta Armella en se tournant brutalement vers sa seconde.

Son geste n’ayant pas échappé aux autres elle se leva pour aller vers un pupitre dont elle manipula quelques touches nerveusement puis se dirigeant vers la coursive fit signe à Katina de la suivre.

— Où veux-tu en venir, lâcha-t-elle sèchement quand elles furent hors de portée des autres.

Katina buvait du petit lait. Elle fit semblant de minimiser :

— Difficile, ce n’est qu’une impression mais… 
— Arrête de jouer avec mes nerfs ! Ils s’embrassaient ?
— Ce n’est qu’une impression. Cela a été si vite. D’ailleurs quand ils m’ont vu ils se sont aussitôt séparés.
— La chienne ! gronda Armella. Si ce que tu dis est vrai elle va me le payer !
— D’un autre côté, s’empressa Katina, peut-être que je me suis trompée et qu’ils ne sont que bons copains…

Le ton employé contredisait totalement le propos.

— Où est-elle ?

— Aucune idée, fit Katina faussement perplexe. D’habitude elle est la première à vouloir repérer notre gibier.

Elle laissa passer quelques secondes avant de relancer :

— J’ai même l’impression qu’elle a quitté le poste de pilotage juste derrière Amos. Il était parti pour quoi au juste ?

Armella devint blême. Accaparée par l’écran elle avait complètement occulté le départ de son amant. Elle n’eut pas le temps de répondre Vima arriva d’une coursive latérale et se dirigea vers eux.

— Toujours rien ? demanda-t-elle sereinement.
— Hélas, répondit Katina avec une sorte de plaisir contenu alors qu’Armella, mâchoires crispées, regardait ailleurs.
— Vous faites quoi ? s’inquiéta Vima en remarquant le mutisme de sa supérieure.
— On discute de nos futures proies, fit Katina avec un sourire ravi.
— Ah…


Vima fut surprise du sourire que lui lançait Katina ; inhabituel de la part de cette salope. Elle regarda quelques secondes Armella puis pénétra dans le poste de pilotage avec un doute au creux de l’estomac ; quelque chose n’allait pas. A peine avait-elle disparue qu’Amos surgissait de la même coursive.

— Toujours rien ? crut-il bon de lancer lui aussi.
— Tu étais où ? lança Armella en essayant de contenir un léger tremblement dans la voix.

Surpris Amos ne répondit rien sur le champ. Il connaissait suffisamment Armella pour comprendre qu’elle était en colère. Se doutait-elle de quelque chose ?

— Dans ta cabine, finit-il par trouver. J’avais besoin de…

De quoi avait-il besoin ? Il lui fallait absolument trouver un prétexte crédible.

— Tu avais besoin ? relança Armella.

Amos n’eut pas besoin de trouver un prétexte.

— Droit devant les filles ! cria la navigatrice.

Amos fut le premier à se précipiter dans le poste de pilotage suivi ensuite de Katina et Armella. Toutes les femmes étaient attentives sur ce qu’elles voyaient sur l’écran. La navigatrice effectua un zoom rapide sur l’image. Une vingtaine de cavaliers avançaient lentement en soulevant un nuage de poussière. Sans aucun doute il s’agissait de pillards. Portant des épées courtes sur le côté, un arc sur le dos, ils  se lançaient des invectives en riant aux éclats. Cheveux hirsutes, visages mangés par la barbe ils étaient sales, repoussants. Grossissant encore plus l’image, la crasse apparut nettement sur leurs vêtements grossiers.

— Ils te conviennent ? interrogea la navigatrice très excitée vers Armella.

La Comandress s’obligea à sourire. Inutile que les autres remarquent son mécontentement. Surtout Vima. Car cela ne faisait aucun doute pour Armella. Cette chienne s’était payée Amos.

— J’espère que ce ne sont pas des couards comme la dernière fois ! lança Katina avec une moue de mépris vers Amos.

Pour elle tous les hommes étaient à mettre dans le même panier et il ne dérogeait pas à la règle. Lui, plus que les autres, car il l’avait écartée d’Armella ; momentanément. Un jour ou l’autre elle aurait sa revanche. Le blodeur remonta assez haut dans le ciel, dépassa les cavaliers de plusieurs kilomètres puis descendit rapidement derrière une colline de terre ocre parsemée de quelques végétations desséchées où il se stabilisa sur quatre pieds métalliques. Laissant Amos en surveillance, les femmes quittèrent la cabine de pilotage et descendirent dans la soute où plusieurs chevaux étaient parqués. Avant de les suivre Armella s’approcha d’Amos et l’embrassa à pleine bouche.


— N’oublie jamais que tu es ma propriété, lui souffla-t-elle en plongeant son regard noir dans le sien.

Puis elle descendit rejoindre les autres
La soute avait été aménagée en écurie pour le confort des bêtes. Cette fantaisie secrète avait été l’idée d’Armella pour assouvir sa passion de la chasse aux pillards. Passion qu’elle partageait avec un noyau restreint d’ultra féministes. Toutes avaient de très hautes responsabilités dans la hiérarchie Atlantéenne ce qui leur permettait d’étouffer, voire de masquer leurs sorties scabreuses. Malgré tout, des rumeurs d’enlèvements d’adolescents retenus prisonniers dans l’île de Chyprona où elles avaient leur état major commençaient à circuler.
Sans un mot, les femmes se préparaient pour leur sport favori : la chasse aux pillards. Elles bouclaient leur ceinturon sur lequel était accroché un poignard court, un carquois de flèches métalliques et un revolver neutralisant. Chacune vérifiant sa voisine pour ne rien laisser au hasard. Quand les chevaux furent harnachés Armella se mit torse nu et trempa ses doigts dans une peinture rouge qu’elle se badigeonna sur le visage imitée par les autres. Saisissant son arc, elle le plaça en travers de sa poitrine et sauta sur sa monture. Effleurant une touche murale, un panneau métallique s’abaissa au milieu de la soute faisant entrer une bouffée d’air chaud. Les femmes sautèrent sur leur monture avec une agilité surprenante et descendirent doucement vers le sol poussiéreux. Quand tous les chevaux furent à l’air libre Armella leur fit face.

— Comme d’habitude les filles, envoyons en enfer ces salopards. Et que la Déesse Mère nous protège !

Puis elle fit cabrer sa monture et dans une volte-face nerveuse s’élança dans la direction des pillards. Aussitôt ses compagnes se ruèrent derrière elle en poussant des cris de joie.